Témoignage du père Raymond Jaccard

25 Nov, 2020 | Témoignages

Témoignage recueilli par Soeur Massabielle:

– « Robert, pour vous est-il un saint ? »
– Père Raymond Jaccard :

« On ne voit pas ce qu’est un saint. On voit celui qui le sanctifie et qui le fait saint, qui le fait devenir saint.
Cela ne dépend pas de nous. Nous n’avons que des événements humains à notre portée, des moyens humains.

La sainteté vient de la transparence avec laquelle nous laissons Dieu agir dans notre faiblesse :
Petit Robert voulait devenir prêtre et son frère l’a empêché. Il est allé faire des études et il est tombé malade. C’est à travers cette maladie que Jésus va travailler.

Père Raymond Jaccard à La Dibamba avec les enfants

C’était un élément nouveau pour lui : « Qu’est-ce que je viens faire ici ? »

Je lui ai répondu : «  Si j’étais Dieu je pourrais te le dire. Attends, il te le dira petit à petit ».

Et au bout de trois jours, de silence, de prière, assis sur son lit sans rien manger, et même sans dormir, il attendait la réponse. Ce n’est pas lui qui a répondu. Il était heureux parce qu’il était baptisé mais malheureux parce que ses frères ne l’était pas. Et Dieu  a travaillé par cet événement.
Il m’a répondu : « Je suis le seul baptisé de ma famille. Mon père est polygame j’ai des frères et sœurs qui ne connaissent pas Jésus. C’est pour cela que je suis venu ici. »

 Et il s’est mis à offrir sa maladie pour eux.

Un jour je lui ai parlé que la petite Thérèse était missionnaire avec sa maladie. Il a découvert qu’il pouvait devenir missionnaire avec sa lèpre. En fait, c’est lui qui m’a demandé : « Alors,  est-ce que moi aussi, je peux devenir missionnaire avec ma lèpre ? »

C’est là toute la mission que Jésus nous propose : faire la volonté de Dieu avec ce que l’on est.

Il a commencé d’offrir plus généreusement ses souffrances, et  à prier davantage.

Père Raymond Jaccard en faisant la tombe de Robert

-Comment priait Robert ?

-P. Raymond : «  Il prenait son chapelet la nuit et retardait de prendre son médicament pendant une heure. Il priait beaucoup et je priais avec lui. Je m’unissais à sa prière.

Ce qui était important , c’est qu’il unissait sa souffrance à sa prière.


-Robert avait-il peur ?

Non il n’avait pas peur. Il savait que Dieu l’aimait. Il voulait sauver ses copains. Et il a trouvé une comparaison. Je voudrais être un entraîneur de football parce qu’il aimait le football. Il voulait emmener tous ses copains puis tous les jeunes tous ses copains au ciel.


Est-ce que Robert avait beaucoup de copains ?Oui Robert se faisait toujours des amis avec ceux qu’il rencontrait.

A cause de sa lèpre, il avait perdu tous ses amis. Tous avaient peur de lui.

J’ai vu beaucoup de lépreux dans  ma vie missionnaire dans le monde entier. Jamais, je n’ai vu un  jeune lépreux aussi atteint par la lèpre que Robert. Il en était couvert de la tête aux pieds.

Alors il a dit un jour à Jésus « Je veux être comme un capitaine de foot pour entraîner tous mes amis au ciel. C’est ainsi que je vais débroussailler avec ma machette càd ma souffrance  la route du ciel. »

Quelle était votre relation avec Robert ?

J’étais en face de sa chambre.  Nous étions toujours ensemble.  Je lui confiais beaucoup d’intentions  de prière que je portais dans ma vie de prêtre. Par exemple la jeune Hélène qui venait d’être kidnappée par un petit chef des alentours pour en faire sa femme Hélène. Je suis sûr que c’est grâce à la prière de Robert que j’ai pu la retrouver et la ramener à sa mère saine et sauf.  Je lui confiais aussi des jeunes de Besançon….. de mon ancienne paroisse.


–  Comment priiez vous ensemble ?


Il m’a dit un jour : « C’est toi mon père. C’est toi qui dois m’apprendre à prier.    Nous faisions des prières simples et spontanées. Par exemple au lieu de dire « ma mère Marie », nous disions : « ma petite Maman chérie » .

Par exemple pour notre Père du ciel, nous disions : « mon petit Papa chéri »

Nous utilisions Un langage d’amour. C’est cela qui l’a fait grandir dans l’amour. C’est important pour un malade qu’il se sente vraiment utile pour sauver les autres avec Jésus.

Quand je le retrouvais, nous parlions beaucoup de Jésus sur la Croix avec Maman Marie. C’était essentiel pour lui de savoir qu’il était uni à Marie pour offrir sa vie à Jésus. Et qu’il ne faisait qu’un avec eux .

Un jour je lui ai demandé : «  Si tu as besoin de te confesser, tu peux me le dire ».

Il m’a répondu : « Quand on est malade, on n’a pas de péché. Mais je n’ai surtout pas assez aimé mon Papa du ciel ».

Je lui ai dit : « Mon petit Robert c’est par l’offrande de ta prière et de ta souffrance que tu aimeras le plus ton Papa du ciel comme Jésus sur la Croix. »

-Robert a-t-il eu des moments de révolte ou de découragement ?

Jamais Robert ne s’est révolté dans sa souffrance. Il priait toujours.

Au contraire, il demandait à Jésus de lui donner encore plus de souffrance pour sauver les autres.

Un jour ,sa maladie s’est aggravée. Il souffrait beaucoup. Et il m’a dit : « Maintenant, je ne pleure plus parce que j’ai vu que Jésus n’a pas pleuré sur la croix alors moi non plus je ne pleurerai plus »

Il voulait s’identifier à Jésus et à Marie.  Et cela avec des moyens très humbles :par la souffrance. Il ne pouvait plus bouger de son lit. Ses pieds s’étaient renversés. Il avait des escarres partout dans le dos, dans les jambes. La souffrance pour lui était devenue son moyen pour aimer Jésus et sauver ses frères. En laissant tous les désirs de sa volonté, il n avait plus que la volonté de Jésus.

-Quand il voyait son corps se délabrer, il ne se décourageait pas ?

Il continuait sa mission avec la petite Thérèse.

Le jour du 15 août sachant que son corps était plein de lèpre,  il a voulu faire un cadeau à Maman  Marie pour sa fête. «Je te donne  mes yeux parce que c’est tout ce qu’il me reste d’intact, pour que tu voies Jésus avec mes yeux »

La journée s’est passée et quand je l’ai vu le soir avant d’aller dormir, il m’a dit quand j’ai frappé à la porte : «  Qui c’est ? »

« Ton frère Raymond »

« Viens près de moi  »  comme un aveugle veut qu’on le touche pour reconnaître qui c’est.

– C’est un message qui peut être difficile à recevoir
Ça peut être compris aussi comme un appel d’amour plus grand avec le Christ qui  a tout donné  pour nous sur la Croix et qui nous appelle à entrer dans son Brasier d’Amour avec Marie.

C’est un don de Dieu. Ce n’est pas nous qui le faisons mais Robert a accepté ce don : cet appel que Jésus lui a adressé en le vivant avec lui.

Depuis ce moment Robert est entré dans une nuit profonde, une nuit d’amour comme Thérèse a vécu elle-même dans la foi avant de partir au ciel. Il n’y avait que la petite Thérèse pour le conduire.

-Alors Robert a vécu un moment de désert spirituel ?

Ce n’était pas un désert. Il s’est reposé dans la confiance totale en Marie.
La petite Thérèse a voulu s’asseoir à la table des pêcheurs.  Robert aussi a voulu s’asseoir à la table de ses copains pour qui il priait. C’est à ce moment-là, fin août ce que je suis parti en stage en France pour apprendre à fabriquer des prothèses. Je n’ai d’autres souvenirs que ce que l’on m’a raconté. Le reste appartient à tous mes amis du Cameroun qui aiment beaucoup Robert et qui font des pèlerinage sur sa tombe.

Sa prière et ses souffrances étaient immédiatement exaucées Robert. Il est un grand Saint pour le Cameroun et pour toute l’église universelle

Je n‘ai  jamais pu aller sur sa tombe. Je l’ai découverte seulement il y a quatre ans quand une amie est partie à la Dibamba et nous a rapporté des photos. J’ai été très ému de voir ce mausolée qui avait été construit pour ce petit lépreux qui a donné toute sa vie pour sauver les autres et qui a profondément marqué ma vie de missionnaire. Il n’y a pas un jour où je n’ai l’occasion de parler de Robert maintenant et de le prier.

Avant de mourir, il m’a dit qu’il ne m’oublierait jamais. Quelques mois après, mon frère Pierre arrivait pour m’aider dans ma mission au Cameroun. Quand on a un ami qui nous aime comme Robert on ne peut pas le perdre. Robert est toujours avec moi. Depuis 50 ans. Je ne peux l’oublier. Chaque jour j’en parle. Je le prie. Je lui ai confié souvent des grands soucis. Et chaque fois il m’ exauce. C’est une lumière dans la foi et dans l’espérance.

Au ciel, nous n’avons  rien d’autre à faire que de louer notre Père simplement pour ce qu’Il est et fait dans la création  parce qu’Il n’est qu’Amour.
Pour nous sauver et nous manifester son Amour infini JESUS s’est donné entièrement au Papa jusque dans son Corps et son Sang.

Jésus nous aide beaucoup à prier et à ne pas nous regarder dans la prière, mais  d’abord louer le Père, le glorifier, l’aimer sans mesure et ensuite seulement lui dire toute notre vie  en particulier ce que nous n’arrivons pas à vivre. Car Il est le Maître de l’impossible.

-Est-ce que d’autres personnes de la léproserie ont vu cette sainteté de Robert ?

Est-ce que d’autres personnes ont manifesté leur émerveillement du chemin spirituel de Robert ?

Papa Louis l’infirmier a été beaucoup marqué par Robert car il le voyait chaque jour et le soignait pendant plus de trois heures deux fois par semaine.

Il est encore vivant et son témoignage est précieux.

Emmanuel Kangui a été témoin de ses communions eucharistiques. Il vit aujourd’hui à Yaoundé. Il a été très touché et quand il est venu me voir en France il y a dix ans, c’est de cela dont il m’a parlé.

Joseph l’instituteur est mort maintenant mais il été très touché par le sourire permanent et sa prière

Oui un monsieur Louis, un français marchand de matelas venait voir Robert tous les dimanches.  Il a été touché par la souffrance de Robert et  il a voulu lui apporter un matelas. Et quand Robert l ‘a revu il lui a dit : « Je suis fier de vous Monsieur Louis car j’ai un vrai matelas maintenant je ne suis plus seulement sur les feuilles.

Avec frère Michel et les autres personnes de la léproserie, il nous  a émerveillé beaucoup.

Père Raymond Jaccard à l’église de La Dibamba

Il avait voulu faire une chanson sur sa lèpre qu’il a appelée « matoutou ». Il chantait tout le temps : « Je ne te veux plus matoutou. Je ne te veux plus. Même si tu m’emportes au ciel …. »

C’est ce petit Robert qui était devenu comme de la poussière qui s’est laissé faire par Dieu  dans l’espérance de le voir bientôt. ?

-Est ce que la personne de Robert peut parler aux jeunes d’aujourd’hui ?

Robert était un garçon normal de 14-15 ans. Il aimait jouer au foot. Il aimait faire des farces. Il allait à l’école avec son petit frère sur le dos
Quand son petit frère pleurait, il sortait  écouter les leçons par la fenêtre. Il se privait de manger pour donner à manger au fils de son tuteur qui l’accueillait pour dormir.

Est-ce que Robert avait bon cœur ?

Oui il donnait tout. Il avait des attentions envers  son frère alors que son frère n’est même pas venu le voir.

Il n’avait pas d’amertume envers sa famille qui ne venait pas le voir. Non, il souffrait mais il ne disait rien. Jamais il ne se plaignait.

-Se plaignait il d’avoir mal ?


À Monsieur Louis l’infirmier, il a dit qu’un jour il n’avait pas pu se préparer pour la séance de pansement et que c’était pour cela qu’il avait eu mal. Sinon il se préparait toujours par la prière à ses séances de pansement qui étaient trop douloureuses puisqu’on devait enlever des lambeaux de chair sans anesthésie. Son corps ne réagissait plus aux anesthésiants.

-Est-ce que  Robert avait des petits amis à la léproserie ?

-Oh oui Robert aimait beaucoup les enfants et quand il y avait une fête il aimait bien qu’on le sorte sous l’auvent pour vivre la fête avec les enfants. Mais comme il était contagieux, on évitait qu’il les touche.

-Robert était très contagieux ?

Je le prenais dans mes bras pour soulever son corps pour les pansements. J’ai dit à Jésus : «  Laisse-moi l’aimer comme tu l’aimerais »  sans mettre de gants et sans me protéger.

Qu’est-ce que vous voyiez dans les yeux de Robert mon père ?

 Ses yeux étaient intacts ; Il avait le regard très vif.

Il aimait bien dire un petit mot pour rire et il accueillait bien les gens qui venaient le voir. Après avoir visité Robert,  les gens repartaient toujours dans la joie et ils n’ avaient plus envie de se plaindre. On sentait que Robert vivait vraiment avec Jésus et Marie.

Est-ce que Robert croyait à la Présence réelle de Jésus dans l’Éucharistie ?

Heureusement ouiC’est  par la prière avec Marie dans le chapelet qu’il est entré dans l’Eucharistie

Il nous a appris qu’il faut laisser une très grande place au malade parce qu’ils sont vivants  encore plus que nous. Par leur présence spirituelle par exemple pour l’adoration de nuit ce sont les malades qui peuvent assumer prendre une heure d’adoration pour les autres. En offrant leur souffrance. Et cela a une valeur infinie.

Robert était toujours présent dans la prière des malades le dimanche et même la semaine

J’avais déjà vu cela chez une dame à Besançon qui était allé 30 fois à Lourdes sans jamais demander sa guérison. Et la prière de ma maman Simone qui avait été malade toute sa vie un

Je souhaite que tous les bien portants et les vivants s’arrêtent sur leur lit comme Robert l’a fait  pour se laisser aimer par Jésus dans l’adoration
Ce n’est pas du temps perdu.
On laisse Dieu agir avec notre silence dans notre impuissance. S’il nous dit d’aller à droite, on va à droite. S’Il nous dit d’aller à gauche, on va à gauche.


Ça peut être le cas aussi de ceux qui ont beaucoup de responsabilités dans la vie qui ont un échec en famille, dans le travail et qui tant de contrariétés possibles et inimaginables.Dieu agit encore dans notre impuissance. Dieu créé avec notre  souffrance. Dieu est un créateur Créant. Ce que Robert a vécu, je l’ai constaté à Lourdes avec Jacques Venzon.

Duxième construction en dur du tombeau de Robert

-Robert aimait il son pays ?

Robert aimait beaucoup  son pays du Cameroun Il était  très heureux d’être camerounais.

Robert était un  garçon normal. Il aimait la vie. Il était bien dans son esprit  et son corps.

il priait pour le monde entier  et était missionnaire comme la petite Thérèse.

Robert aimait-il  bien la parole de Dieu.

Il  aimait bien que je lui parle de Jésus. Il ne posait pas tant de questions. il écoutait .

L’Évangile en lui rentrait comme dans du beurre il adhérait à tout.

Pour lui c’était une vie d’amour. Je ne l’enquiquinais pas avec des dogmes. Je lui disais : «  Jésus t’aime comme cela. Tu vois ce qu’il a vécu à Bethléem ». Après je lui raconter la vie de Jésus. Il aimait beaucoup.
Surtout sa croix. Avec Marie.

Est-ce que il avait peur d’imaginer ce qui se passerait après sa mort

Il lui tardait d’aller voir le Papa. C’est tout ce qu’il disait.

Il savait qu’il allait entrer dans la Vie. Et il la désirait. Il a même imaginé que quand il serait au ciel, il ferait du bien à ses copains comme la petite Thérèse de l’Enfant Jésus.

C’est là qu’on s’aperçoit que Robert a travaillé avec peu de moyens  et avec peu de choses. Presque  avec rien sur la terre juste avec sa maladie et Jésus en a fait un saint. Robert a très peu parlé.

La vie chrétienne, ce n’est pas du baratin. Jésus s’incarne encore en chacun de nous en Marie et pour nous transformer et nous conduire dans ce Brasier d’amour de la Croix. Offrir toute notre vie et sauver nos copains.

Père Raymond au village de La Dibamba avec les enfants

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